Afin de rendre ce projet de design spéculatif crédible et plausible, nous avons réalisé une série de recherches et d'expérimentations autour du mycélium.
Le mycélium se nourrit de matière organique qu'il décompose. Pour se développer, il a besoin de carbone (sucres simples ou complexes), d'azote (protéines), d'éléments minéraux (soufre, phosphore, potassium, magnésium, calcium) et d'oligo-éléments. (fer, zinc, cuivre, manganèse...)
Le mycélium peut-il se nourrir de nos éléments organiques comme nos cheveux ou nos ongles ?
Afin d'établir des comparaisons, nous avons expérimenté différents substrats (supports dans lequel se développe le mycélium) comme la paille ou le marc de café, généralement utilisés dans les cultures de champignons.
Nous avons réalisé des expérimentations avec des cheveux comme substrat.
Le cheveu est composé à 95% de kératine, soit de la protéine. et contient 18 acides aminés. Tout comme lui, l'ongle est constitué de kératine dure riche en soufre et renferme également de l'eau, des lipides, du calcium, du fer et du phosphore. La sueur contient elle aussi des minéraux et des protéines. mais également du potassium et de l'azote. Ainsi, ces éléments répondent aux besoins nutritifs du mycélium.
Selon certaines études, les champignons agissent comme des probiotiques et stimulent la croissance du microbiote intestinal, en détruisant les "mauvaises" bactéries et favorisant les "bonnes".
Ils possèdent des propriétés anti-inflammatoire, anti-oxydante, anti-allergique, anti-cholesterol et renforcent le système immunitaire.
En Asie, les médecines traditionnelles les utilisent afin de préserver l'ensemble de l'équilibre du corps, comme par exemple le Reishi, surnommé en Chine "élixir de vie".
La kératine, sensible au stress, à nos hormones et notre alimentation, conserve toutes les traces de ce que nous avons ingurgité ou même fumé. Certaines maladies comme l'anémie laissent des traces sur nos ongles et nous éliminons des polluants environnementaux via notre transpiration.
Et si le mycélium, génétiquement modifié, pouvait traiter de manière "intelligente" toutes ces informations afin d'offrir des champignons répondant aux besoins précis de notre corps, tels des alicaments personnalisés ?
Afin d'incarner ce projet de design spéculatif, nous avons designé un nouvel objet : inspiré de vases contemporains, cette "champignonnière" au style épuré peut prendre place dans un salon, tel un objet décoratif.
Pour contre-balancer la répulsion provoquée par l'idée de l'utilisation des cheveux, ongles et autres, nous avons misé sur une esthétique élégante et minimaliste.
Cet objet modulable se compose de six éléments;
La partie supérieure de l'objet principal sert de contenant au mycélium. Refermée par un couvercle pendant la phase d'incubation, une ouverture au dessus permet d'y verser les différents éléments organiques..
La partie inférieur de l'objet principal se divise en trois tiroirs emboîtables dans lesquels sont rangés les différents outils de prélèvement.
Enfin un plateau détaché vient se positionner relevé autour de l'objet principal.
Construits sur des mêmes proportions, nous avons designé une série de trois outils de prélèvement d'éléments organiques (sueur, ongles et cheveux), chacun accompagné d'un outil favorisant le transvasement dans la "champignonnière".
Toujours dans un style épuré et élégant, la forme fine et conique des objets favorise l'ergonomie.
Le plateau sert de réceptacle aux différents éléments organiques.
Ainsi, je peux aller me prélever dans un endroit plus propice, comme ma salle de bain, et revenir à mon objet principal.
Ciselé à l'intérieur, avec une forme de "bec" à une extrémité, il me permet de transvaser directement mes éléments à la "champignonnière", à l'aide des outils adéquats.
Enfin, cet objet est construit autour d'un rituel. Ce dernier est basé sur le chiffre 3, symbole que l'on retrouve en sorcellerie (le Triskell, la Triquetra...) et qui représente la vie, la mort et la renaissance.
Comme tout rituel, il s'inscrit dans une durée (symbolisée par les différentes marques sur l'objet ) et à travers des étapes (repérables grâce à la tranche du couvercle).
Ainsi, trois prélèvements sont réalisés les trois premiers jours. Puis le mycélium incube pendant trois jours,. Le couvercle est ensuite retiré le sixième jour pour laisser place à la fructification qui prendra elle aussi trois jours (la modification génétique du mycélium permettant une accélaration de sa croissance).
Le premier jour, je prélève ma sueur, grâce aux outils spécialisés contenus dans le premier tiroir et au plateau. Une fois mise à l'intérieur de la champignonnière, je positionne la tranche du couvercle sur le marquage deux, indiquant ainsi que la première étape a été réalisée.
Je fixe sur la pointe un filtre en coton et viens ensuite le passer sur ma peau afin de prélever ma sueur. Grâce à la pince, je viens récupérer le filtre et le déposer au cœur de la champignonnière,.
Le deuxième jour, je prélève mes ongles, grâce aux outils spécialisés contenus dans le deuxième tiroir et au plateau. Une fois versés à l'intérieur de la champignonnière, je positionne la tranche du couvercle sur le marquage trois, indiquant ainsi que la deuxième étape est terminée.
Je viens limer mes ongles (ainsi plus facilement assimilable par le mycélium) grâce à la lime, au dessus du plateau. Avec la petite raclette, je peux ensuite transvaser ma "poudre" d'ongles dans la champignonnière.
Le troisème jour, je prélève des cheveux, grâce aux outils spécialisés contenus dans le troisième tiroir et au plateau. Une fois mis à l'intérieur de la champignonnière, je positionne la tranche du couvercle sur le dernier marquage.
Je positionne ma mèche de cheveux dans l'ouverture de l'objet, dont le bord tranchant viendra la couper. Je me sers ensuite de la petite brosse pour venir balayer les cheveux, du plateau vers la champignonnière.
Le sixième jour, je retire le couvercle qui vient se positionner autour de la champignonnière. La lumière ainsi entrant déclenche la phase fructification du mycélium. Trois jours plus tard, les champignons personnalisés aux besoins de mon corps ont poussé ; je peux les manger comme alicaments.
Réhabilitée par l'ouvrage de Mona Chollet, la figure de la sorcière, prônant le corps libre et la reconnexion à la nature, irrigue ce projet de design spéculatif, réalisé au seing du studio Imprudence.
Et si les éléments organiques de notre corps, nos poils, nos ongles, nos fluides, considérés comme "souillures", étaient donnés en offrande à un organisme de la forêt, mycélium génétiquement modifié, qui les transformerait en champignons aux effets personnalisés pour notre organisme ?
À travers un rituel de beauté contemporain qui fait entrer le corps en relation mutualiste avec le mycélium, naît un soin bénéfique à mon biome.